CHWP B.21 Catach, "Les dictionnaires de l'Académie française"

11. Approches bibliographiques

Parmi les expériences et les débuts mouvementés de l'ère des dictionnaires, la première édition, même comparée à des productions beaucoup plus anciennes, a pu à bien des égards être considérée comme un véritable "monstre", et en tous cas nécessitera à elle seule une étude à part: oeuvre de plusieurs mains, revue par des générations différentes d'Académiciens, foisonnante de contradictions, de redites, de mots oubliés, d'erreurs, etc. Ces caractéristiques constituent aussi, sous bien des aspects, des richesses que nous ne pouvons négliger. Nous citerons quelques exemples concernant les premières éditions et les définitions.

11.1. Éditions complémentaires de référence

Dès 1687, une première contrefaçon parait.[3] À partir de 1688, pressée par le Roi et par Perrault, l'Académie laisse imprimer une série de "feuilles" qui constitueront ce que l'on appelle l'avant-première édition (1692, chez Coignard et Fils, qui va jusqu'à la lettre M, sans doute la première rédaction).[4] Cette édition, dont il ne nous reste qu'un exemplaire, a été aussitôt arrêtée comme trop mauvaise et le tirage entier détruit. Nous ne ferons que mentionner ici le Dictionnaire de Furetière (1690) trop important en lui-même pour que l'on puisse le classer, comme on l'a fait à l'époque, parmi les contrefaçons de l'Académie (ses collègues l'ont alors accusé d'avoir largement utilisé les notes qu'il avait prises en tant qu'académicien, et un procès interminable lui a été intenté). Sous la date de 1695, après la parution de la première édition, une pseudo "seconde édition" parait aussitôt aux Pays-Bas.[5]

Cette contrefaçon de 1695 a l'intérêt d'intégrer les additions dans le corps du texte et de donner un copieux errata en huit grandes colonnes, qui ne seront pas de trop si l'on veut corriger la copie de base. Ces textes, et quelques autres (comme Le Dictionnaire des Halles de 1696 dont j'ai parlé), devraient, étant donné ce qu'ils apportent (sur le Dictionnaire et sur l'histoire de l'écriture du français en particulier), faire l'objet d'une saisie et d'études complémentaires de référence.

Je signale également que la 2e édition (1718) n'est, à peu de choses près, que la première mise en ordre alphabétique. La 2e édition semble avoir suivi dans beaucoup de cas pour les entrées non le texte de l'édition précédente, mais la Table alphabétique de 1694, plus moderne du point de vue graphique et importante elle aussi, ce qui occasionne en 1718 quelques différences de présentation. Mais, les articles étant ici dans l'ordre, l'on pourrait se contenter de la saisir d'abord, avant de remonter jusqu'à son original pour y retrouver les équivalents.

Les préfaces des premiers dictionnaires (et la Dédicace de la 1ère édition) utilisent une orthographe un peu différente des textes, parce qu'elles ont été rédigées en fin d'ouvrage et qu'elles reflètent les usages personnels de certains (le Secrétaire perpétuel Régnier-Desmarais en particulier).

La 3e édition présente, presque autant que la première, un grand intérêt bibliographique. C'est l'édition qui, entre autres, met en place l'accentuation du français, et elle ne l'a pas fait sans mal, car les caractères accentués manquaient cruellement. Le premier volume présente la caractéristique d'avoir manqué d'accents graves (par la faute de l'imprimeur), lesquels apparaissent de façon régulière seulement dans le second tome, à partir de la lettre M, et de façon systématique à partir du mot sphère. Une étude approfondie des usages typographiques et des majuscules nous a permis d'inventorier dans les deux tomes des "cartons" (feuilles refaites et rajoutées), qui peuvent être reconnus d'après l'introduction tardive des accents graves. Une certaine unification graphique sera sans doute nécessaire.

11.2. Les définitions

Les définitions concernant les instruments, les outils, la faune et la flore présentent toujours un intérêt particulier pour l'histoire des techniques, et elles mériteraient d'être saisies avec soin dans les premières éditions. Elles sont qualifiées pour 1694 par Beaulieux (1951: 64-5) d'"erronées, ou absurdes, ou puériles", reproches qu'elles encourent effectivement quelquefois. Pour un grand nombre d'animaux ou de plantes (points faibles de l'Académie) il n'y a pas d'autres définitions que ces mots: "Bon à manger, délicat à manger", etc. La colombe est "la femelle du pigeon"; la dorade "une sorte de poisson d'eau douce"; la bièvre et le castor sont traités comme deux animaux différents, comme le linx (forme et entrée absentes de la Table alphabétique, bien que l'article soit traité) et le lynx "animal sauvage"; le furet est une "sorte de petit chien", le grillon "une espèce de cigale", le pélican "nait dans les déserts", le cerf est "une espèce de bête fauve", etc. Ces définitions n'ont guère évolué par la suite, et n'ont été sérieusement revues que tout récemment.

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Notes

[3] Le Grand Dictionaire de l'Académie Françoise, Première partie (suivant la copie imprimée à Paris chez Petit), Francfort: Fr. Arnaud, t. I (jusqu'au mot confiture), 1687 [Ars. 4°B.L.507].

[4] Les premières feuilles du Dictionnaire de l'Académie françoise, imprimées par feu M. Le Petit, 1692, 656 pp.

[5] Le Grand Dictionnaire de l'Académie françoise, seconde édition reveue et corrigée de plusieurs fautes (suivant la copie de Paris), Amsterdam: Veuve Coignard, 1695-6.