CHWP B.10 | Leroy-Turcan, "L'informatisation du Dictionnaire Étymologique de G. Ménage" |
Nous ne retiendrons que l'exemple du rapport sous-vedette/graphie: le choix de la graphie a- plutôt que e- dans la sous-vedette confirme la préférence de Ménage pour l'homographie, puisque dans ces cas-là il ne peut être question de polysémie d'un même lexème: ainsi pour les mots ambler, ancre et panser, la sous-vedette introduisant le renvoi à une graphie plus moderne, qui légitime une entrée spécifique (ambler --> embler, ancre --> encre, panser --> penser), ne révèle pas seulement une hésitation dans la graphie; elle sert à marquer une position intermédiaire de Ménage, dans une synchronie épaisse; il se montre à la fois tributaire d'un héritage fluctuant et moderne dans ses options définitives.[24]
Dans l'ensemble, on ne trouve que peu de caractérisation grammaticale des mots étudiés:[25] que cela relève de l'évidence ou pas, qu'importe pour Ménage; puisqu'il définit un adjectif français par un adjectif latin, il est superflu de préciser qu'il s'agit d'un adjectif! Même chose pour un verbe défini par un autre verbe, l'étymon donné étant forcément un verbe! En revanche, Ménage emploie la terminologie des parties du discours pour les langues étrangères considérées comme peu connues (du moins pour lui, si l'on se fonde sur sa façon d'utiliser le grec comme si tous ses lecteurs connaissaient le grec!). Ainsi trouve-t-on les précisions d'adjectif, de substantif ou de verbe surtout à propos des langues orientales (s.v. avanie, pour l'hébreu). Quand un même mot peut être employé en français comme adjectif ou comme substantif, Ménage le précise comme pour gorgias et gorre.[26] La distinction nom commun / nom propre n'est pas toujours faite explicitement. La plupart du temps les patronymes sont marqués par la formule "Famille de..." (s.v. Acakia, Alesso); pour les toponymes, le lecteur sait s'il s'agit d'une ville importante ou non (s.v. Aluie: "petite ville"), d'un duché (s.v. Albret: "nom de Duché") ou d'une région (s.v. Alsace), etc. Ménage ne semble pas utiliser la notion de 'prénom' (là encore, on apprécierait les acquis d'une base de données où l'on puisse trouver des occurrences de ce genre!), mais il parle de "nom propre d'homme" (ou "de femme") (s.v. Albert, Bernard); dans le cadre des faits de déonomastique, Ménage n'emploie pas de terme précis (s.v. Amadote: "du nom d'une femme nommée Dame Oudot").
Pour la détermination du nom commun, Ménage ne signale l'article en français que dans une perspective diachronique (s.v. lierre, lapatience); dans d'autres langues, le fait le plus fréquemment étudié est l'article arabe (s.v. alcoran, alembic, alkali, almageste, almanac, etc.).
C'est parfois l'emploi d'un mot dans une expression qui le marque implicitement comme adjectif (s.v. arzel "cheval arzel"); mais la plupart du temps un adjectif est expliqué par un adjectif en français (s.v. anable "capable") et en d'autres langues (s.v. alderman et allemans). Il en est de même pour le verbe.[27]
On observe en général peu de régularité dans l'organisation des articles:[28] la saisie doit donc respecter l'apparente fantaisie formelle. En effet, quand Ménage ne commence pas un article par la définition du mot étudié, ce n'est pas toujours par négligence, par simple oubli: la définition est alors souvent contenue implicitement dans l'énoncé de l'étymologie ou dans sa justification, la démonstration étymologique reposant sur une logique définitoire (cf. la tradition isidorienne de l'étymologie essence signifiante). L'étymologie est définitoire par le seul énoncé de l'étymon qui peut aussi coïncider avec la traduction latine ou grecque, donc l'équivalent sémantique qui suffit à définir.[29] Il faut respecter tout particulièrement l'ordre des informations, car il est porteur de sens: il est nécessaire de pouvoir étudier sous forme de tableaux les fréquences de champs informationnels par une simple codification des positions.
L'intérêt de l'informatisation réside encore dans l'étude systématique des différents connecteurs d'information et on peut véritablement parler de sémiotique des copules, quand on observe la polysémie d'emplois tels ceux des verbes appeler, dire, signifier, dériver ou de l'adverbe autrement. Selon les contextes une même terminologie linguistique prend des valeurs différentes: ainsi le verbe appeler est-il employé dans l'énoncé d'une définition pour présenter une dénomination en français avec le sens de "désigner", pour donner une traduction en latin ou en grec le plus souvent (= traduction définitoire, notamment dans le cas du latin des Botanistes), pour introduire aussi des équivalents régionaux (qui sont un aspect de définition par la traduction); appeler fonctionne aussi comme copule étymologique, lorsque la définition-désignation et l'étymologie sont étroitement liées: dans ce cas on observe l'emploi du verbe au participe passé, appelé, le plus souvent précédé de ainsi avec lequel fonctionnent en parfaite complémentarité les copules explicatives telles que acause de, acause que, parceque, pourquoi et quod; dans ce type de distribution les formulations ainsi appelé, ainsi dit semblent parfaitement synonymiques, alors que ainsi formé introduit une dimension plus précise, dépassant la glose étymologico-définitoire.[30] Enfin, appeler peut introduire, outre la justification de désignation, une interprétation étymologique, comme pour les poires Bon-Chrétien où Ménage commente "Elles sont si excellentes que Budé et Nicot les ont appelées panchresta, toutes bonnes." L'adverbe autrement est un exemple tout aussi significatif: il fonctionne au moins avec trois valeurs dans le vocabulaire des végétaux: pour introduire une traduction en latin classique ou en latin des Botanistes, pour opposer une dénomination savante à une dénomination populaire et pour expliquer un terme régional par son équivalent 'français'.[31]
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[26] Ces précisions figurent surtout dans les Observations.
[28] On observe trois catégories d'articles, minimal ou réduit, normal ou essentiel et étendu; pour le détail des typologies, cf. Leroy-Turcan 1991: première partie.
[29] Cf. notre étude sur le corpus des végétaux (Leroy-Turcan 1995).